A lire: Chroniques des années de fraises
Edition skinjbir
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CHAPITRE I
Au début des années soixante, nous n’avions besoin ni de voiture ni même de bus. La plupart du temps nous marchions à pied. La ville de Rabat était moins encombrée. Il y avait beaucoup moins d’embouteillages. C’était un plaisir de se pavaner sur le grand boulevard de l’Océan. On descendait en ville à pied. La pente qui longe l’Avenue Misr - de Bab El Had à Bab El Alou - ne nous inquiétait pas. Les voitures non plus. Même s’il y en avait déjà pas mal on ne les remarquait pas trop.
« La dolce vita » de la belle époque
A la “Dolce Vita” en plein centre ville, un café mythique, se réunissaient les marginaux de luxe, les fils à papa et à maman, les fonctionnaires chic qui voulaient rester éternellement jeunes, les artistes peintres, Abdelkader Benkemoun le plus illustre de la faune rbatie, quelques comédiens, des agents immobiliers, de véritables rapaces à la recherche de l’affaire de l’année, des hôteliers, des restaurateurs, des flics chic, bref tout ce que la ville avait de précieux et de superficiel à la fois. Les belles années de la “Dolce Vita” - on allait rarement au restaurant mitoyen la Mamma- , vont prendre fin au début des années soixante dix, c’est à dire avec l’arrivée des intrus, venus du fin fond de la médina et des périphéries. Il y avait un style Dolce – prononcez Dolché svp - avant « Dolce Cabana »… un comportement spécifique et ces gens là nés de la dernière pluie, ne l’avaient pas. Dommage.
Ces arrivistes n’avaient rien compris au style “Dolce Vita”. Les gens de la Dolce, les vrais dandys, venaient de tous les quartiers de Rabat. De l’Akkari, de l’Océan, de la médina, de Mabella, de l’Agdal et du Souissi c’est à dire aussi bien des quartiers populaires que des quartiers huppés. Tous ces jeunes gens avaient en commun de la classe. Il y avait une sélection naturelle . C’est comme le chic. On l’a ou on ne l’a pas. C’est inné. Point c’est tout.
Les piliers de la « Dolce » n’étaient pas n’importe qui. N’importe quel Mdini, n’importe quel Océanique et n’importe quel Ould Souissi ! Pour nous, il n’était pas question de bivouaquer dans ce café avec son bar en verre – où on ne servait pas d’alcool- Pas même une goûtte de Campari !- Comment oublier les cailloux en silex et la fameuse petite cascade. Autant de trésors qui ont été détruits. Pour la petite histoire, Mathieu Bénénatti le patron de la « Dolce » a démoli son café légendaire sans le moindre remord, dit-il. C’est à vérifier. Certains rbatis toutes religions confondues, ne lui ont jamais pardonné. Il en avait le droit? Ce café appartenait au patrimoine de la ville. Peut-être qu’aujourd’hui, il regrette son geste. Après tout il est né au Maroc, d’un père sicilien, un brave médecin qui était très estimé dans le milieu populaire marocain. On raconte qu’il soignait parfois gratuitement les pauvres. Donc il n’aurait jamais dû supprimer ce bijou de la ville? Ce café était pour nous un peu “Le Flore”, “Les Deux Magots”, “La Coupole” des références de choix qu’on avance pas ici gratuitement. Il paraît qu’il a détruit son café parce que la clientèle s’était dégradée et qu’il ne retrouvait plus son petit monde. C’est là une autre histoire mais fallait-il qu’il nous prive de ce lieu de pèlerinage pour les rbatis de souche ou d’adoption? Mathien, un garçon raffiné nous a privé d’un lieu d’élégance. Pour aller dans son café on s’habillait comme il faut. C’est là qu’on affichait sa dernière chemise à fleurs ou sa veste italienne. Mêmes les vieux s’habillaient avec recherche.
Pour nous la « Dolce Vita » était une simple étape. On prenait notre jus noir, un café au goût unique - dans un verre et non pas dans une tasse pour les plus snob d’entre nous - en bavardant de tout, de politique, du rock, des endroits à la mode et très peu de foot comme dans les années quatre-vingt où l’on vit des groupes de passionnés du ballon rond parler à haute voix. Nous disons une simple étape. Car, après le sacré et indispensable café vers 18 heures, nous quittions le café de légendes, généralement entre sept heures et vingt heures, pour d’autres lieux chauds, là où précisément ça se passait. A l’époque, on se déplaçait beaucoup dans la capitale. On avait l’impression de vivre dans une grande métropole.
Parmi les habitués, habillés à la dernière mode, il y avait des intellectuels très politisés, une gauche style “Oulad Palépa” nourrie avec les gâteaux de Mme Richa à défaut de gauche caviar... Ces jeunes gens parlaient avec une liberté de ton, fascinante. On sait que trois décennies plus tard, tout le monde allait rentrer dans les rangs... D’anciens marxistes sont devenus soit gouverneur, soit ministre... Ici, comme ailleurs, les choses aussi ont changé. Qu’est devenu ce jeune Rbati aux cheveux longs qui nous récitait les chansons de Bob Dylan afin de nous dégoûter des plaisirs de la société de consommation? Il est devenu un cadre, dans l’informatique, dans une grande administration centrale…
Les lolita, Zoubida de Gaston Mantel
Après huit heures du soir, les illuminés de la “Dolce Vita” montaient soit à la Place Piétri, soit à l’Océan encore un quartier mythique. S’ils restaient dans le centre ville, ils avaient une prédilection pour le Snack Bar “ le Marignan”, un bar très années cinquante, où s’étend sur le mur derrière le bar, tout en longueur, une fresque du peintre Mantel qui illustra nos livres scolaires. Pour être précis soulignons qu’il s’agissait de « La bataille de Bayard » qui est restée gravée dans les mémoires des habitués du « Marignan ».
Gaston Mantel aimait regarder les jeunes filles genre Lolita. Elles s’appelaient Zohra, Zineb ou Khadija. Il a peint de ravissantes gamines sur les terrasses, souvent dans un décor pitorresque. Il se réfugiait solo dans son atelier aux Oudayas -quartier planant- d’où il avait une vue imprenable. Ses filles avaient le trait fin et le seroual érotique. Ses plus beaux dessins en noir et blanc ont servi d’illustrations aux livres scolaires. Notamment le célèbre ouvrage scolaire « Nos lectures »… Que plusieurs générations ont étudié en s’attardant sur les dessins qui n’avaient rien de scolaires. Leur place était plutôt dans un livre de Nabokov.
Les jeunes gens à la mode - on ne disait pas à l’époque branchés - ne fumaient pas beaucoup de joints. Ceux qui se brûlaient la gorge dans les sixties avec du kif faisaient déjà vieux jeu. Le kif c’était pour les artisans de la rue des Consuls et des cordonniers de Souk-Sabat. Ces gens là savaient fumer. Cependant, entre le début des années soixante dix, jusqu’au milieu des seventies on a beaucoup fumé du H avant de passer aux années clean - un peu avant les années quatre-vingt.
« Le Biarritz »
Il faut dire que l’ambiance de l’époque était parfaitement au point pour fumer un pétard. On a fumé du chit parce que tout le monde fumait. Y compris des hauts fonctionnaires qui fréquentaient les cafés à la mode comme “Le Biarritz” et “Le Chergui”.
Qui se rappelle du “Chergui” ? Ce fut le café où il fallait être vu avant la “Dolce vita”. C’est dans les vents chauds de ce café au nom original, pour l’époque, que furent arrêtés un jour ceux qui ne faisaient pas le ramadan…
Parmi eux, des fonctionnaires, le fils de Horma Ould Babana, un fils de notable mauritanien et la crème de Rabat. Tout ce beau monde fut traduit en Justice. Depuis cette époque - début des années 60 - plus personne n’a osé rompre le jeûne dans un café avant le moghreb… Encore pour la petite histoire il y avait toute une communauté mauritanienne qui vivait aux frais de la princesse. Le jour où la Mauritanie fut indépendante on n’a plus revu nos frères mauritaniens qui se payaient du bon temps au Balima…
La musique, les fringues, l’environnement international, favorisaient cet engouement pour les joints.
Mais les plus intelligents, les esprits vigilants, ont fini par comprendre que ça ne servait à rien de fumer du shit et prôner la paix quand plus rien n’allait autour de vous. L’écrivain américain, l’un des papes de l’underground, Williams Burroughs, l’a bien dit. « Au Maroc on fume du kif depuis des siècles et qu’est ce que cela a changé ?… »Bonne question.
C’est au beau milieu des années soixante que la Préfecture de Rabat, sous la houlette du Dr Benbouchaïb, allait commettre l’irréparable. Le gouverneur était-il au courant de ces scènes de massacre ? On coupa les arbres à la racine de l’Avenue Abdelkrim El Khattabi (ex Marie-Feuillet), comme ceux de l’avenue d’Alger. Un autre crime qu’on n’a jamais oublié à Rabat. Du moins chez les défenseurs de la nature. Du coup on ne vit plus le printemps arriver dans la ville.
Les oiseaux qui avaient pris l’habitude de se réfugier dans les branches ne sont plus retournés. Il n’y avait plus d’arbres. Seules quelques hirondelles égarées sont restées fidèles au rendez-vous printanier. Le changement brutal dans la ville nous a enlevé l’envie de fumer et de planer. Il fallait se rendre à l’évidence.
Le massacre de la ville allait perturber notre mode de vie. Pendant qu’on planait, les technocrates se livraient à une démolition effrénée des valeurs urbaines. Alors qu’on se roulait de gros pétards les premiers opportunistes se remplissait les poches en achetant les maisons des pauvres.
Neil Young et Bouchaib El Bidaoui
La petite fumette avait permis à beaucoup d’entre nous de rêver sans plus. Il n’y avait pas de créativité au fond de l’air. Nos artistes se shootaient au haschich sans créer quoi que ce soit. A part quelques expériences rares sans lendemain d’ailleurs, on aurait dû voir la ville avec de nouveaux regards mais les joints en général, ont coincé plus d’un, qui se sont contentés de fumer, d’écouter de la musique sur les ondes de "la chaîne Inter" sans tenter de changer quoi que ce soit. Que de temps perdu (…)
On a écouté sans interruption, Neil Young, Léonard Cohen, Graham Nash et autre « Jefferson Air Plane ». Dans la ville comme dans les têtes, les choses n’ont pas évolué. Voilà pour notre expérience de psychédélisme morbide.
La radio « Chaîne » dite « Inter » qui a bercé notre adolescence ressemblait à une vraie radio jusqu’au début des années soixante-dix, avant qu’elle ne tombe dans la médiocrité avilissante.
Satanés jeunes d’aujourd’hui qui ne l’écoutent même plus. La RTM a perdu des milliers d’auditeurs. “Médi-I” a tout raflé, tous les publics même les cheïkhate, plutôt chioukhs, ces jeunes style, “Noujoum Bourgoune” qui plagient Bouchaïb El Bidaoui - sans le savoir? - comme les rappeurs qui pillent James Brown et Marvin Gaye.
La RTM, avant l’arrivée des speakers fades aux accents tortueux et des animateurs décadents, qui, après vingt ans de micro, manquent toujours de professionnalisme, ressemblait à une radio majeure. On remarquera que l’Etat ne s’est jamais préoccupé de ses radios. C’est tout juste si on ne contrôle pas le contenu des émissions qui pourraient déraper. Le ministère de l’Intérieur sous Driss Basri et même après, sous Midaoui et Driss Jettou, a toujours eu une peur bleue des radios libres… Certes on parle aujourd’hui de libéraliser le secteur mais on craint de voir des intrus comme on l’a vu dans la production et la mise en scène, dans le cinéma comme dans le théâtre.
Le « Pop club » de josé.
Que l’on se rassure, ces mièvreux animateurs n'ont jamais failli à la règle dans leurs émissions, celle de dorloter les auditeurs en leur servant chaque jour des chansons insipides, une soupe “malha”, tout ce dont la France ne voulait plus. La Francophonie ressemble à une poubelle de l’Hexagone. Les animateurs de la RTM nous ont fait souffrir d’autant plus qu’il n’y avait que la station de la rue El Brihi. C’était à prendre ou à laisser.
Des années plus tard, on autorisa l’ex-chaîne privée “2 M” à ouvrir une station radio - Une radio incolore, inodore, sans intérêt à l’heure des radios sur le numérique -. On ne prête qu’aux riches. Une façon de dire aux radios libres qui attendaient leur autorisation d’émettre “Allez vous faire voir ailleurs”. Que de vocations perdues. Un pied de nez historique.
Les jeunes de la fin des années cinquante et jusqu’au début des années soixante-dix n’avaient pas besoin d’écouter les ondes de l’Hexagone. A part bien sûr le “Pop-club” de ce cher José Arthur. Une émission qu’on ne captait pas toujours dans de bonnes conditions. Même quand il y avait des fritures on suivait les interviews très parisiennes de JA. On n’était pas perfectionniste pour le son. Seule la voix et les potins de ce chroniqueur radio comptaient.
Ce dernier a animé une soirée en direct de son pop-club à partir de la boîte de Rabat l’inoubliable “Cage”. Dans la capitale on était aux anges ce soir-là. C’était vers la fin des années 60. On a cru un moment qu’on était entré dans le marché commun ! Pensez vous Rabat ce soir là était branché sur une bonne partie du monde… Il n’y avait pas de radio captée par satellite.
La Chaîne Internationale disposait de tranches très appréciées par les jeunes de Rabat, Casa ou Meknès où il y avait un orchestre de jazz « The Conrad » Malgré les relais faibles on captait “ Radio Maroc” à Oujda ou à Figuig.
Cette génération de Marocains-francophones s’est abreuvée aux sources de la musique moderne mais aussi de la musique classique. Nous pensons ici à l’émission du matin de Robert Claude Van De Wall avec sa voix rauque et rock à la fois. Mais aussi, hélas à l’émission de la défunte Françoise Fabien. Pourquoi hélas? C’est toute une histoire.
Françoise Fabien préfacée par Taïb Bencheïkh…
Pour la simple raison que la dame Fabien, nous a trompé. Elle a trompé tout un auditoire pendant des années jusqu’au jour où nous avons découvert avec stupeur qu’elle tenait un discours au relent raciste.
En effet, dans son livre publié vers la fin des années quatre-vingt, “Le Maroc au bout de ma seringue” préfacé par le ministre de la Santé de l’époque, Taïb Bencheïkh, qui n’avait certainement pas lu le manuscrit, un peu comme l’abbé Pierre qui a défendu Roger Garaudy sans l’avoir lu… Ce brave abbé Pierre qui a fait du social avant la gauche de Mitterrand et Jospin réunis.
La Françoise Fabien s’est révélée être tout simplement une réactionnaire avec un petit esprit français très moyen comme il existe des esprits marocains très moyens.
C’est dans son livre où elle raconte sa traversée du pays en tant qu‘infirmière - elle savait tout juste faire des piqûres - pour le compte de I’UNICEF que nous avons découvert le véritable visage de ceux qui se délectent de l’hospitalité marocaine, et qui au fond ont des arrière-pensées. L’écrivain marocain Ahmed Sefrioui l’auteur de “La boite à merveilles” l’avait dissuadée de publier son livre, lui qui avait pris la peine de lire le manuscrit, mais Françoise Fabien ne l’a pas écouté. FF était devenue gâteuse. Elle était persuadée que son livre, un chef d’œuvre… allait battre les records de vente de Sochepress… Seuls ses amis ont fait acte de présence lors de la signature de son bouquin à « kalila wa dimna » pour ne pas la froisser.
En fait on sait qui sont réellement les amis du Maroc. On n’a pas besoin d’association “Trait d’union” et de “Trait de désunion” pour savoir qui nous respecte et qui nous prend pour des citrouilles. On reconnaît vite ceux qui parlent vrai et ceux dont les confidences et les déclarations d’intention sonnent faux, qu’ils s’agissent des scribouillards, des gratte-papier derrière les guichets consulaires ou des petits diplomates en fin de carrière .
Morrison, Brahim El Alami et Colette Magny
Françoise Fabien n’avait pas la trempe de notre amie Odette de Puigaudeau qui a vécu à la Place de Sefrou, derrière l’internat du lycée Hassan II ex-Gouraud. Voir le livre que Monique Hervo a consacré à notre amie Odette “ Mémoire du passé maure” édité chez Ibis Press 2000. TV-Breiz, la télévision bretonne a consacré un documentaire saisissant sur cette grande dame qui a connu le fils de Ma El Aïnine avant l’indépendance du Maroc.
Odette, en compagnie de son amie Marion Sénon, a parcouru le désert à dos de chameau jusqu’à